Le Legal Design, innovation juridique majeure, vecteur de transformation des entreprises

Amurabi
9 min readNov 14, 2019

Pas une semaine ne passe sans l’apparition d’outils innovants au sein de la LegalTech. Très bien. Il est désormais évident que ces nouveaux auxiliaires, bien choisis, permettent de libérer les directions juridiques des tâches répétitives à fort volume et faible valeur ajoutée, pour se concentrer sur la création de valeur : stratégie, éthique et prévention — non automatisables.

Et si l’innovation juridique ultime résidait dans les objets juridiques eux-mêmes, le contenu, la façon de concevoir contrats, CGV et programmes de compliance ? C’est la promesse du Legal Design, ou Design Thinking appliqué au droit : créer des documents juridiques limpides, immédiatement opérationnels et engageants pour leurs utilisateurs.

Ça n’a l’air de rien. Et c’est une petite révolution.

Exit les bons vieux modèles de contrats « validés » repris encore et encore, le copier-coller des clauses-types, le recyclage des slides de formation. Pourquoi ?

Pour redonner au droit tout son sens, et la place qu’il mérite au sein de l’entreprise, celle qui permet une implémentation réelle des principes essentiels au-delà des cases à cocher. Celle qui facilite l’adoption du changement, en ces temps de transformation radicale et perpétuelle des business models et modes opératoires des entreprises. Celle qui donne un avantage concurrentiel à l’entreprise par une compliance enfin effective.

De quoi parle-t-on ?

Rappelons que le design[1], dans son acception étymologique, associe dessein et dessin et consiste initialement à créer des objets utilitaires fonctionnels intégrant une dimension esthétique pour fluidifier et faciliter les gestes et pratiques de la vie quotidienne.[2] Bien loin, donc, de l’image snob ou onéreuse à laquelle il peut être assimilé. Pour Steve Jobs, la fonctionnalité l’emporte d’ailleurs sur la forme.[3]

L’application de ces préceptes au droit a été initiée par la designer Candy Chang en 1999 à New York afin de rendre intelligible le mille-feuille réglementaire de la ville de New-York applicable aux vendeurs de rues[4]. C’est en 2014 que le Legal Design est théorisé par Margaret Hagan à l’université de Stanford[5] , autour de quelques principes simples pour créer des documents juridiques utiles, faciles à utiliser et engageants:

- Tout part de l’utilisateur et de la définition et compréhension empathique de son identité, ses besoins, aspirations, contraintes, et de son parcours utilisateur ;

- L’expérimentation est la règle : prototyper rapidement, identifier ce qui ne marche pas, ajuster et recommencer ;

- La démarche est fondamentalement collaborative et pluridisciplinaire : avocats, designers, chercheurs co-créent avec et au service de l’utilisateur.

On le voit, le Legal Design consiste en une approche holistique qui va bien au-delà de la visualisation du droit à laquelle il est parfois réduit — démarche au demeurant initiée avec succès depuis plus de 10 ans notamment par Helena Haapio[6], et du « langage clair »[7], absolument nécessaire mais peut-être pas suffisant.

Essor international.

Depuis 2014, Stanford développe le Legal Design au sein du Legal Design Lab, porteur de projets radicalement innovants tels qu’une application permettant aux consommateurs de « décoder » les privacy policies des sites internet, dès 2015[8]. D’autres universités européennes et américaines se sont emparées du sujet[9] et quelques pionniers, essentiellement dans les pays nordiques, fournissent des services de Legal Design[10], pour certains au cœur même de cabinets d’avocats[11], ou de conseil.[12]

Et c’est une communauté internationale de « legal designers » qui est en train de voir le jour : en novembre 2017, le Legal Design Summit[13] fondé par Antti Innanen et Johanna Rantanen du cabinet Dot a réuni pas moins de 600 personnes à Helsinki, autour d’intervenants venus d’Australie, Colombie, Etats-Unis, Pays-Bas, Belgique, Royaume-Uni, Italie…

En France, la très active association Open Law organise depuis 2017 des ateliers de Legal Design[14], l’ERAGE (Ecoles des Avocats du Grand Est), pionnière en France, forme pour la deuxième année consécutive ses élèves au Legal Design tandis que l’Ecole Française du Barreau a mis le sujet au programme de ses cours en 2018, de même que le Diplôme Universitaire Transformation Digitale du Droit et LegalTech de Paris II-Assas. Les acteurs de la Legal Tech sont nativement attentifs à l’expérience utilisateur et intègrent naturellement le Legal Design dans la conception de leur service et interface, telles que Juro[15] et mesindemnités.com[16].

Simple mais jamais simpliste, le Legal Design vise à (ré)concilier droit et usage actuel de l’information. Ou comment créer des documents juridiques facilement compréhensibles et utilisables, tout en assurant la fonction première des contrats : la sécurité juridique.

Quels bénéfices pour les directions juridiques et leurs clients ?

Quand on aime le droit, il peut être difficile d’exercer en entreprise. Structurellement, la technicité de la matière d’un service qui n’est pas au cœur de la création de valeur ni de la culture d’entreprise engendre des difficultés :

- d’application effective des préconisations,

- de perception de la Direction Juridique.

Il faut également reconnaître que l’héritage de modèles de contrats et de policies internes rédigés par des avocats pour des avocats ou des juges ne contribue à résoudre ni la première, ni la seconde des problématiques que nous venons d’évoquer.

Conjoncturellement, les Directions Juridiques doivent faire « toujours plus avec moins » : l’inflation législative multiplie les risques juridiques quand dans le même temps, la quatrième révolution industrielle suppose agilité permanente et frugalité des budgets.

Ainsi, l’espace pour l’implémentation réelle du droit et la réflexion sur les sujets juridiques de fond en entreprise peut paraître restreint.

Le Legal Design apporte des solutions concrètes et effectives.

- Centrant la conception et la rédaction de documents juridiques sur l’utilisateur, et permettant d’insérer d’inscrire les contraintes juridiques de façon fluide dans le un parcours utilisateur, le Legal Design permetl’application effective des solutions juridiques en entreprise. On constate par exemple que sur des sujets délicats et peu engageants par nature tels que les formations sur la compliance, les retours spontanés des opérationnels sont très positifs.

- Créant des contrats et documents juridiques faciles à comprendre et directement opérationnels, le Legal Design réduit le temps de négociation des contrats, limite les coûts et les risques de contentieux en assurant une meilleure implémentation des contrats. Ainsi, le Service Digital du gouvernement britannique affirme avoir réalisé 1.3 Mds de livres d’économies entre 2014 et 2015 en appliquant le Legal Design à ses contrats d’achat.[17]

- Démarche intrinsèquement collaborative et pluridisciplinaire, et par nature agile puisque basée sur le prototypage et l’itération, le Legal Design révèle la Direction Juridique en tant que facilitateur de l’activité commerciale, soutien du changement et acteur de l’innovation. L’organisation et la modération d’ateliers de co-création avec les clients internes constitue un changement en soi, qui modifie rapidement les préconceptions.

- Approche centrée sur l’utilisateur, le Legal Design nous offre une Etoile du Nord pour nous guider au milieu de l’offre pléthorique de LegalTech et s’assurer que l’innovation demeure au service de l’humain, pas de la technologie. Par exemple, la nécessité d’automatiser la rédaction et mise à jour des CGV et politiques de traitement des données personnelles de sites en ligne lorsque la direction juridique en gère plusieurs centaines est assez évidente. Mais comment choisir le bon outil parmi les dizaines d’offres ? La conduite d’ateliers réunissant tous les utilisateurs et les juristes, ainsi que la définition précise du parcours utilisateur a mis en lumière un outil parfaitement adapté, et rapidement adopté.

- Appliquant la co-création, le Legal Design est un vecteur de confiance et de fluidité managériale au sein des directions juridiques.

- Enfin (et surtout ?), en abolissant le jargon juridique[18] et en questionnant les modèles et clauses-types, le Legal Design offre auxjuristes la possibilité de se réapproprier la réflexion sur leur cœur de métier.

Et la sécurité juridique ?

Bien évidemment, toute innovation génère interrogations et réticences. La première d’entre elles, en particulier pour une avocate formée pendant dix ans à l’école de la rigueur des cabinets Magic Circle et obsédée par la qualité, est la valeur juridique des nouveaux documents créés.

Rien de tout cela n’a d’intérêt si les attributs essentiels du droit — précision, exactitude, exhaustivité — se diluent dans de « belles images ». Mon expérience sur l’année écoulée est que l’on ne sacrifie rien à la qualité. Mieux, le Legal Design incrémente la sécurité juridique en assurant l’effectivité des contrats et…le caractère « éclairé » du consentement au titre du RGPD[19] :

Certes, l’approche Legal Design requiert une solide compétence technique et une expérience pratique éprouvée[20], pour parvenir à simplifier sans dénaturer. Il peut d’ailleurs s’avérer utile de mettre en place une forme de « contrôle qualité » des contrats une fois le processus itératif abouti : par exemple, vérification de chacune des obligations clés par rapport au modèle de base. A cette condition, le gain pour l’entreprise est réel: augmenter la sécurité juridique par des contrats qui sont tout simplement…signés et appliqués, quand les modèles initiaux sont si lourds qu’ils restent lettre morte.

Au-delà, dans certains domaines tels que la protection des données personnelles, lisibilité, clarté, intelligibilité et accessibilité des privacy policies deviennent des conditions de validité du consentement des consommateurs au traitement de leurs données, afin que celui-ci soit « éclairé ». Les Lignes Directrices[21] du G29[22] sont sans ambiguïté :

« Le RGPD institue plusieurs conditions pour que le consentement soit éclairé, essentiellement à l’article 7(2) et au considérant 32. Cela conduit à un standard plus élevé de clarté et d’accessibilité de l’information. Lors du recueil du consentement, les contrôleurs doivent s’assurer qu’ils utilisent un langage clair et simple dans tous les cas. Cela signifie que le message doit être facilement compréhensible pour une personne ordinaire et pas seulement pour des avocats. Les contrôleurs ne peuvent pas utiliser des privacy policies longues, illisibles ou des énoncés remplis de jargon juridique. »[23]

Appliquer le Legal Design à des Conditions Générales donne le résultat suivant, par exemple :

https://www.amurabi.eu/what-we-do/contracts/

A l’heure où les entreprises font de la simplification un enjeu stratégique, le Legal Design offre un outil puissant aux directions juridiques qui souhaitent innover. Car « La simplicité, c’est l’harmonie parfaite entre le juste, l’utile et le beau … »[24] : la définition même de cette nouvelle approche.

Il permet aussi de créer — enfin — une « expérience utilisateur » du droit satisfaisante et efficace.

Marie Potel-Saville, www.amurabi.eu

[1] Vocable attribué à Sir Henri Cole en 1849, éditeur du Journal of Design and Manufacture lors de l’Exposition universelle de Londres en 1851. http://www.academie-des-beaux-arts.fr/lettre/dossier_lettre68/Accueil.html

[2] Aujourd’hui, l’Alliance Française des Designers, après avoir rappelé que la définition est nécessairement évolutive, propose : « Le design est un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. » http://www.alliance-francaise-des-designers.org/definition-du-design.html

[3] « Design is not about how it looks, it’s about how it works ».

[4] http://welcometocup.org/Store?product_id=17

[5] “Design Thinking and Law: a Perfect Match”, Harvard Business Review, Janvier 2014 https://www.americanbar.org/content/newsletter/publications/law_practice_today_home/lpt-archives/2014/january14/design-thinking-and-law.html

[6] G. Berger-Walliser, R.C. Bird et Helena Haapio, La visualisation des contrats comme outil de performance juridico-manageriale, in Antoine Masson, Hugues Bouthinon-Dumas, Stratégies juridiques des acteurs economiques, Larcier 2012, https://www.larciergroup.com/fr/strategies-juridiques-des-acteurs-economiques-2013-9782804456139.html Adam L. Rosmann Visualizing the Law: Using Charts, Diagrams, and Other Images to Improve Legal Briefs.

[7] Le langage clair en droit : pour une profession plus humaine, efficace, crédible et prospère, Stéphanie Roy, Les Cahiers de droit Volume 54, Numéro 4, Décembre, 2013, p. 975–1007 https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2013-v54-n4-cd01015/1020657ar). “Plain language contracts on the rise” (L’Essor des contrats en langage clair), Kate Vitasek, Forbes, 19 mars 2018 https://www.forbes.com/sites/katevitasek/2018/03/19/plain-language-contracts-on-the-rise/#9f21740fc66a

[8] Applying Design Thinking to Law, Stanford Lawyer, June 2, 2016, https://law.stanford.edu/stanford-lawyer/articles/legal-design-lab-consumer-contracts

[9] Université de Leuven https://www.law.kuleuven.be/citip/en/news/item/legal-design-jam, Université de Vanderbilt http://www.legalproblemsolving.org, “From Visualization to legal Design, a Collaborative and Creative Process”, American Business Law Journal, Summer 2017, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2841030

[10] Helena Haapio et Stefania passera, http://www.lexpert.com, Antti Innanen et Johanna Rantanen, co-fondateurs du Legal Design Summit, https://dot.legal/

[11] https://www.houthoff.com/Our-People/employees/Sarah-van-Hecke

[12] http://legalworks.se/

[13] http://www.legaldesignsummit.com/

[14] http://openlaw.fr/travaux/cycles/think-led-legal-design

[15] https://juro.com/

[16] http://www.mesindemnites.com/

[17] https://digitalmarketplace.blog.gov.uk/2015/09/03/creating-simpler-clearer-contracts-for-the-digital-services-framework/

[18] Sur ce sujet, le directeur juridique de GE Aviation a d’ailleurs récemment appelé à « tuer le jargon juridique » en revisitant de fond en comble les modèles de contrat, sans rien perdre en sécurité juridique bien sûr : Harvard Business Review, Février 2018 : https://hbr.org/2018/01/the-case-for-plain-language-contracts

[19] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement Européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données)

[20] « Si vous ne pouvez expliquer quelque chose simplement, c’est que vous ne l’avez pas bien compris », Albert Einstein.

[21] Guidelines on Consent under Regulation 2016/679, 17/EN WP259, Adopted on 28 November 2017, https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/wp259_enpdf_consent.pdf

[22] Article 29 Data Protection Working Party, http://ec.europa.eu/newsroom/just/item-detail.cfm?item_id=50083

[23] Point 3.3.2 des Lignes Directrices, traduction libre, soulignement ajouté: « The GDPR puts several requirements for informed consent in place, predominantly in Article 7(2) and Recital 32. This leads to a higher standard for the clarity and accessibility of the information. When seeking consent, controllers should ensure that they use clear and plain language in all cases. This means a message should be easily understandable for the average person and not only for lawyers. Controllers cannot use long illegible privacy policies or statements full of legal jargon.” Voir également, dans le même paragraphe : “Layered and granular information can be an appropriate way to deal with the two-fold obligation of being precise and complete on the one hand and understandable on the other hand.”

[24] Franck Lloyd Wright.

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